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tragödienproduzenten
2009
 

Royal orgueil du sensible
Coriolan, de Shakespeare, mise en scène Claudia Bosse, Vienne, du 21 au 24 avril 2009.

14/05/2009 mouvement Mari-Mai CORBEL

Claudia Bosse, metteur en scène autrichienne, vient de reprendre son Coriolan (2007), dans une vaste usine désaffectée. Une pièce qui s'intègre au cycle « Les Producteurs de tragédies », avec les créations des Perses (2006), de Phèdre (2008) et de Bambiland d’Elfriede Jelinek (2008).

Vienne. Dans une vaste boulangerie industrielle désaffectée dont il ne reste qu’une acoustique favorable, Claudia Bosse reprend sa mise en scène d’une tragédie antique de Shakespeare, créée en 2007, Coriolan. Dans ces quelques milliers de mètres carrés au sol, et sous une luminosité mate comme une aube grise interminable, les spectateurs sont libres de voguer ou de s’échouer sur des récifs en forme de cubes disposés çà et là, pour sentir passer sous leur peau le souffle de ce théâtre « out of joint », comme Hamlet le disait du temps d’Elsener. Si Claudia Bosse peut affranchir le théâtre de ses théâtres, de ses méthodes éprouvées comme de ses lieux, c’est à la suite d’une réflexion de longue haleine sur l’espace et la parole. Une réflexion entre autres informée au travers d’un cycle mêlant performances, discussions collectives et camping avec urbanistes et penseurs de l’espace public, sur le site d’un chantier urbain (Ballet palais, 2005). A sa suite, Claudia Bosse a conçu le projet des « producteurs de tragédie », pour expérimenter la production du tragique dans l’histoire théâtrale. Elle y a mis en scène Les Perses avec un chœur de centaines de citoyens (2006), ce Coriolan et son chœur de claquettes, ainsi qu’une performance Turn terror into sport(1) qui lui est liée, puis Phèdre de Racine et Sénèque (2008, GRü, salle cantonale), et, d’Elfriede Jelinek sur la guerre américaine en Irak, Bambiland08 qui a traversé Vienne en novembre 2008. Actuellement, elle retraverse ce cycle en vue d’un dernier opus (Tragédie multihybride).

Force de soulèvement. Dénuées d’effets sonores ou lumineux comme du moindre accessoire relatif à la fable dramatique, les mises en scène de Claudia Bosse prouvent que le théâtre est d’abord une histoire de parole, donc de travail d’acteur. C’est un théâtre abrupt plus que sauvage, un théâtre de voix brutes où se réverbère le dépouillement de tout signe théâtral propre aux lieux de représentation que Claudia Bosse choisit. Il s’y produit des mises en abyme entre espace et vocalités, entre dehors et dedans. Ce travail évoque d’ailleurs celui d’Anatoli Vassiliev avec les acteurs, bien que Claudia Bosse ne le connaisse pas et quoique provenant de tout autres héritages intellectuels et artistiques. Mais tous deux se rejoignent dans une méthode pour projeter la parole dans l’espace. Néanmoins, la puissance de jeu des acteurs chez Claudia Bosse n’exige pas comme chez Vassiliev qu’ils soient des monstres sacrés et virtuoses. S’ils reçoivent des consignes de jeu précises, ils peuvent se les approprier sans long entraînement. En fait, la méthode de projection de la parole et des corps dans l’espace est moins technique que reposant sur un imaginaire spatial du jeu. En ce sens, Claudia Bosse travaille à ouvrir l’espace, pour démultiplier les lignes de perspectives des acteurs. Les murs de la boulangerie, blancs et peu épais, architecturent un lieu de représentation qui ne comprime pas la spatialisation mentale, propre à l’imaginaire d’un texte et aux états de corps traversés. Claudia Bosse déplie un théâtre intérieur ouvert, comme un ensemble sans bord, non pas pour se répandre à l’extérieur, mais pour s’y convertir dans l’installation spatiale. L’espace créé est imaginaire. Il est moins structuré par une scénographie que par une armature de lignes de force dont l’une est matérialisée dans la division de l’espace en deux camps. Cette ligne centrale correspond à l’affrontement dans Coriolan entre Romains et Barbares, et plus largement, à l’idée d’un conflit de l’humain contre lui-même, d’une frontière, à la raison d’une guerre, et elle prend consistance en un podium transversal construit en empilement de palettes... D’ores et déjà, le texte shakespearien, écrit comme un scénario de film de guerre, retrouve son plan métaphysique et sensuel, presque comme le genre épique de la Bhagavad Ghïta, qui n’évoque qu’une recherche spirituelle. Ainsi Coriolan est-il avant tout un humain en guerre contre lui-même. Trop imbu de justice ou du sens de ce qui est juste, il répugne, après avoir triomphé des ennemis de Rome, à supplier selon le rite la plèbe, de bien vouloir lui accorder la charge d’empereur, alors que ses victoires ne doivent rien à cette dernière. Rejeté, aveuglé par la colère de n’avoir pas été reconnu pour ses seules victoires, Coriolan pactise avec les barbares, puis rentre à nouveau en triomphateur, avant d’être trahi par son allié douteux et de voir son corps jeté du haut de la roche Tarpéienne. La tragédie est l’histoire d’un corps en trop, d’une sensibilité absolue superflue, incompatible avec l’apparition de la force politique populaire collective.

L’orgueil de la chair. Ce travail rigoureux sur l’espace et la parole, d’apparence formelle, est néanmoins enchaîné à celui de l’interprétation d’un texte. L’espace est avant tout une chambre d’échos, le texte y résonnant comme ayant été entendu dans la lecture. Une telle mise en scène démontre qu’un texte, même du répertoire, n’impose pas la forme théâtrale. Claudia Bosse défait toute sacralisation du texte, toute fétichisation de la « scène », pour re-théâtraliser la chair. La chair ici est à entendre en dehors de toute notion religieuse, voire de cette technique d’acteur de l’incarnation. C’est un mot poétique pour dire le double, l’inconscient, la mémoire ou l’ombre du corps qui prend vie en s’émouvant du sens des choses. Il y aurait beaucoup à dire, entre autres, sur la désynchronisation des rôles et des acteurs, qui brouille les codes sexuels, générationnels et érotiques (comme dans Phèdre). Il faudrait là souligner la force critique corrosive que le théâtre de Claudia Bosse exerce de façon rédhibitoire sur la fétichisation qu’une grande part du théâtre, héritant du théâtre bourgeois, impose au regard, l’air de rien, l’indexant à ce rationalisme réaliste qui nous fait croire dans la réalité de ce qui arrive, si quelque chose se voit... Or Shakespeare l’écrit, il ne nous arrive que ce qui ébranle la chair, mouvements d’âme et guerres intérieures...

1. Extrait d’un vers de Coriolan : « He stopp’d the fliers / and by this rare example made the coward / turn terror into sport » (Acte II, scène II, Comminius).

Phèdre (en français), de Racine (et Sénèque), du 24 au 26 mai au Schauspielhaus de Vienne.

Du 14 au 30 juin 2009: tournage public d’un projet cinématographique–performatif d'après "Bambi" de Felix Salten, un voyage documentaire à travers Vienne avec une communauté humaine d'animaux et une caméra vidéo, ainsi que la réalisation d'une piste sonore du texte dramatique de Elfriede Jelinek (voix d'Anne Bennent).

Bambiland's day, le 11 septembre à Düsseldorf, installation urbaine orientante, avec performances et un forum libre de théâtre.

tragödienproduzentenmultihybrid – Une société théâtrale, du 24 au 28 octobre, avec Eschyles, MÜller, Shakespeare, Racine, Sénèque, Jélinek, dans une ancienne boulangerie industrielle.

http://www.mouvement.net/site.php?rub=2&id=2f3682ae8509fa68



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